
Cécile, la vraie, est une jeune femme de qui je me suis trouvé très proche, physiquement et au long de plusieurs années, à la cafétéria Flunch de Romans-sur-Isère. Jamais son nom de famille n’est venu jusqu’à moi… de sorte qu’il me serait difficile de savoir où elle est partie depuis si longtemps déjà.
À 74 ans, j’ai décidé d’en faire la complice de l’essentiel de mes rêves éveillés, en lui donnant la place qu’il convient auprès du personnage que je suis désormais : un grand intellectuel qui aura pris le parti de tenir compagnie, il y a plusieurs décennies, à une personne qui s’est révélée, assez rapidement après une rencontre qui remonte à 1970, comme affectée d’une névrose très profondément enracinée en elle, et dans laquelle elle a peu à peu réussi à l’enfermer lui aussi…dans la mesure où il n’a pas souhaité se tourner vers quelqu’un d’autre quand il en était encore temps, peut-être… pour continuer une longue vie de voyage à travers ce qu’il faut appeler : le peuple travailleur de France, et au-delà.
Quelles sont les perspectives qui peuvent naître au sein de ce qu’il serait possible d’appeler « l’esthétique de la vie » pour autant que deux personnes désirantes se trouveraient emportées, très librement, dans le monde des articulations symboliques qu’elles déploieraient, l’une avec l’autre, à partir du potentiel qu’offre l’art de vivre sitôt qu’il est compris comme une fin en soi ?
Ce qui est sûr, c’est qu’au moment où elle a disparu de la réalité de ma vie, la petite Cécile se destinait à prendre sa place dans l’un des lieux qui préparent à cette étrange pratique de spécialiste en soins esthétiques qui semblait devoir la mener plus près de moi encore, et sans du tout qu’il lui fût donné d’en avoir l’intuition…

Voici ce que pourrait être une image approchée de la personne évoquée…
Certainement, je n’aurai jamais vu Cécile dans un habit comparable à celui-ci, et même de très loin.
Membre de l’équipe chargée d’entretenir la salle de restauration et de participer à la mise sur assiettes des mets choisis par les clients, tout en effectuant également les tâches d’élaboration des factures et de récupération des sommes correspondantes, elle se mouvait dans une sorte d’anonymat qui aurait pu me condamner à ne jamais la « voir » vraiment…
Pendant un an ou deux, comme ses camarades féminines, elle portait une jupe et un dessus de caractère strictement professionnel, c’est-à-dire sans aucune fioriture, ce qui plaçait tout ce petit monde assez nettement au-dessous de ce que la nature aurait pu lui permettre de manifester…
Simplicité un peu monacale, qui s’est trouvée aggravée par une décision qui aura surpris le personnel autant que les habitués : rien que des pantalons avec un dessus de catégorie plus sinistre que précédemment…
Au-delà de ces péripéties vestimentaires, la jeune femme au visage de poupée, dotée d’une voix d’un aigu très remarquable, et manifestement capable d’une grande spontanéité, prenait sous sa seule responsabilité la permanence des longs après-midis du dimanche… Ce qui la mettait régulièrement dans le cas de se trouver seule en salle, tandis que la clientèle se ramenait très souvent à ma compagne et à moi.
Pourquoi avoir choisi un tel emploi du temps ?… J’en suis encore à me le demander, avec une certaine mélancolie. D’autant que, parfois, elle se plaçait devant l’immense baie où, tournée vers l’extérieur, elle semblait attendre, sans vraiment croire que cela ait pu avoir le moindre sens, cependant que la disposition des lieux m’offrait le loisir de la voir se déplacer dans l’immense salle sans que mon regard ait eu à beaucoup se décaler pour contourner l’espace occupé par ma compagne de lecture et d’écriture…Tout ce qui était en jeu se trouvait ainsi tenu dans une parfaite discrétion, ainsi qu’il aurait été nécessaire sitôt qu’il se serait agi de se laisser prendre dans la dynamique d’un amour courtois qui n’aura, de fait, jamais été, même, à peine plus qu’initié…
À moins qu’il ne s’agisse de le faire provigner rien que comme une fiction créatrice. Et c’est ici que cela va pouvoir se déployer…
Michel J. Cuny
31 mai 2025
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