
C’est qu’il est question de résoudre, rien qu’en termes de vérité, le problème qui se pose ici, du passage de la réalité à une fiction décidément faite d’articulations symboliques qui ne pourront qu’en exprimer les contraintes, tout en en tirant l’entière saveur désirante…
D’une certaine façon, je me trouve renvoyé vers ce que Sigmund Freud développe à partir de l’expérience de la mise au jour de ce qui réside, depuis si longtemps parfois, dans notre inconscient. Cela se trouve dans l’écrit qu’il a publié en 1930 sous le titre allemand : Das Unbehagen in die Kultur, qui est habituellement traduit en français par : Malaise dans la civilisation.
Dès les premières pages de ce petit livre, l’inventeur de la psychanalyse marque une sorte de temps d’arrêt : « Nous touchons ici au problème plus général de la « conservation des impressions psychiques ». » (in Revue Française de Psychanalyse, Année 1934, page 696.)
Si je traduis cela dans le langage qui s’impose ici à moi, je devrai dire… « de la conservation des désirs qui m’ont autrefois porté à ce que je suis aujourd’hui devenu, du point de vue de l’ensemble de ma personnalité tandis que je ne suis tout de même plus un jeune homme ».
C’est que, de l’inscription de mon désir de vivre, il reste des « vestiges » que j’aurai partagés : ce qui constitue l’ensemble de mes écrits pour autant qu’ils auront été publiés.
Reprenons maintenant le fil de la réflexion entamée par Sigmund Freud :
« Depuis que, revenus d’une erreur, nous ne considérons plus nos oublis courants comme dus à une destruction des traces mnésiques, donc à leur anéantissement, nous inclinons à cette conception opposée : rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne disparaît de ce qui s’est formé, tout est conservé d’une façon quelconque et peut reparaître dans certaines circonstances favorables, par exemple au cours d’une régression suffisante. » (idem, page 697)
Il s’agirait donc de « revenir sur ses pas », et avec toute la pertinence qui reste possible à nous autres, pauvres humains…
Ici, Freud prend le parti de s’écarter du sujet qui paraissait être le sien… Et le voici qui nous entretient de Rome, la Ville Éternelle, dotée de son illustre passé, parfois réduit à rien que des morceaux :
« Demandons-nous plutôt ce qu’un visiteur, muni des connaissances historiques et topographiques les plus complètes, saurait aujourd’hui retrouver de ces stades primitifs. Il verra le mur Aurélien encore intact, à part quelques brèches. À certains endroits, il pourra découvrir quelques vestiges de l’enceinte de Servius mis à jour par des fouilles. » (Idem, page 697)
Me voici face à l’étrangeté de certains de mes souvenirs et des résultats qui s’en trouvent inscrits dans une réalité qui n’est plus tout à fait la mienne…
« En supposant qu’il connût à fond la Rome de la république, ses connaissances lui permettraient tout au plus de repérer l’emplacement des temples et des édifices publics de cette époque. Or, ces emplacements ne révèlent plus que des ruines, même plus les ruines authentiques de ces monuments, mais celles de reconstructions postérieures exécutées à la suite d’incendies ou de destructions. » (Idem, pages 697-698)
C’est que toute cette affaire se complique de ce qui sera venu s’interposer entre les « vestiges » de mon passé et cette fleur pourtant tellement peu aperçue qu’aura été Cécile…
« Inutile d’ajouter que ces débris de la Rome antique apparaissent noyés dans le chaos d’une ville qui n’a cessé de grandir depuis la Renaissance, au cours de ces derniers siècles. » (Idem, page 698)
D’une Renaissance dont, on le sait maintenant, je n’ai pas choisi de me nourrir, et peut-être jusqu’à la satiété d’un amour courtois décidément assumé…
Or, pour passer de la Rome de Sigmund Freud à ce que je m’apprête à afficher sous ma signature, une voie m’est offerte que m’indique le grand maître de l’analyse psychique :
« Imaginons, à présent, qu’elle ne soit point un lieu d’habitations humaines, mais un être psychique au passé aussi riche et aussi lointain, où rien de ce qui s’est une fois produit ne se serait perdu, et où toutes les phases récentes de son développement subsisteraient encore à côté des anciennes. » (Idem, page 698)
Mais oui, bien sûr, voici qui devrait m’être facile !
« En ce qui concerne Rome, cela signifierait donc que sur le Palatin les palais impériaux et le Septizonium de Septime Sévère s’élèveraient toujours à leur hauteur initiale, que les créneaux du château Saint-Ange seraient encore surmontés des belles statues qui les ornaient avant le siège des Goths, etc. ; mais plus encore, à la place du Palazzo Caffarelli, que l’on ne serait pourtant pas obligé de démolir pour cela, s’élèverait de nouveau le temple de Jupiter Capitolin, et non seulement sous sa forme définitive, celle que contemplèrent les Romains de l’Empire, mais aussi sous sa forme étrusque primitive, alors que des antéfixes de terre cuite le paraient encore. » (Idem, page 698)
Resté garde-malade, au long de plus de cinq décennies, auprès de la personne que j’avais voulu et su introduire dans la dynamique de ma vie professionnelle dès que j’avais eu vingt ans, suis-je en mesure de dessiner aujourd’hui les productions symboliques tout autant que réelles qui m’étaient promises par-delà l’extrême humilité – au moins apparente – dont j’ai su faire preuve en achevant ma vie d’homme matériellement aussi pauvre qu’il est possible de l’être dans la France d’aujourd’hui ?…
Michel J. Cuny
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