
Je me trouve désormais dans l’impossibilité totale de dater, même de façon relativement imprécise, l’époque à laquelle j’ai commencé à me rendre dans cette cafétéria Flunch qui était alors toute neuve, et dont le personnel était relativement nombreux et manifestement occupé à faire vivre cet endroit qui n’aura alors jamais manqué de présenter un caractère festif assez marqué : c’est ainsi, en tout cas, que j’ai tout d’abord perçu cette grande salle où, déjà, mon regard aurait pu s’arrêter sur… Cécile.
Mais j’étais alors occupé par les étranges dérives de ma compagne… qui s’est crue dans la situation d’atteindre, à elle toute seule, les sommets du monde de l’édition, quand ce ne serait que pour pouvoir offrir rien moins qu’une maison au locataire du troisième étage… marié et père d’une adolescente…
Tout cela était le résultat plus ou moins stupéfiant d’un article paru sur son tout nouveau livre dans la revue L’école des parents. Certes, l’initiative d’envoyer cet ouvrage à cet organe de presse, qui semblait tout indiqué, venait de moi. Par malheur, il y avait ceci, que les mots « écrivaine » et « auteuse » n’y figuraient, ni l’un, ni l’autre… Autrement dit : je n’avais sans doute pas fait le nécessaire pour qu’il en aille autrement…
En réalité, dans toutes les circonstances où il était question de recevoir un objet ou de bénéficier d’un service, il devait toujours y avoir quelque chose de boiteux. Entrer dans un magasin – en manifestant une timidité excessive – ne peut déboucher, la plupart du temps, que sur le fait de se faire « dépasser » par une personne un peu moins inhibée, d’où la plainte ultérieure qui ne pouvait que venir jusqu’à mes oreilles… pour me rappeler que, décidément, les humains ne valent rien… en général.
À l’inverse, si l’on est soi-même content de quelque chose – la réception d’un livre tout récemment publié -, il faut absolument se garder d’en dire trop… Très vite, un défaut sera « découvert » ici ou là. Un œil exercé par ce qui s’appelle tout simplement : la paranoïa, trouvera très vite à y redire, sans qu’il fût possible d’aller là-contre en expliquant que ce n’est tout de même pas si grave…
Quant aux personnes rencontrées – ainsi que j’en ai fait longuement état ailleurs -, sitôt qu’elles s’inséraient trop bien dans les contacts professionnels qui nous étaient nécessaires, ici ou là en France et notamment à Paris, ma compagne savait très vite m’en interdire l’accès en se fâchant avec elles pour des riens qu’ensuite elle ne savait plus me dire.
Ce sont ces piques plantées ici ou là – et tout autant sur ma pauvre personne – qui m’ont conduit à nous éloigner de nos familles, d’abord, puis de notre région d’origine, pour nous lancer sur les routes de France… Je ne risquais plus guère de retomber sur des personnes incriminées jusqu’à n’en plus finir… C’est que tout était soigneusement noté ou retenu en mémoire… de sorte que je pouvais toujours redouter qu’en évoquant ceci ou cela d’un lointain passé, me revienne à la figure telle ou telle circonstance où il aura été dit que… Tout en noir, donc.
Cependant, il y avait une sorte de parade à ce désastre permanent dans le rapport avec autrui : nous installer, tous les deux, dans un café… et lire ou écrire… Au-delà de la paix des armes, il y avait là notre profession, tout simplement, et exercée au grand jour : un couple d’écrivains. Cela aura toujours fini par se savoir – et de manière rien qu’artisanale – aux quatre coins du pays, et en profitant du ressort des curiosités ordinaires : « Je vous vois travailler ensemble dans des livres ou à des écrits… Que faites-vous, dans la vie ?… » La réponse aura régulièrement débouché sur des « oh ! » ou des « ah ! » qui, même en cherchant bien, ne comportaient aucune aspérité…
Et c’est donc cet aspect relativement mondain que Cécile aura pu longuement observer, mais sans jamais rien oser nous en dire…
Par contre, l’affaire avec le couple du troisième étage allait devenir tout simplement menaçante…
En 1987, nous avions choisi de nous donner enfin un vrai port d’attache. Ce serait Romans-sur-Isère, et dans un petit immeuble.
Pour que la gravité de la situation puisse être rendue sensible de façon significative, disons qu’après quelques années de tension, il est apparu que les deux dames – celle du troisième étage et ma compagne – étaient désormais à portée d’un mutuel crépage de chignons… tandis que les deux messieurs ne savaient plus que penser du fond réel d’une telle haine réciproque.
Jusqu’au jour où ces braves gens – en passe d’acheter une petite maison – se sont précipités à déménager dans un immeuble sis de l’autre côté de l’avenue et rien qu’à quelques dizaines de pas de leur domicile initial… Ainsi, impossible désormais, pour les deux dames, de se croiser dans les escaliers, en attendant de régler l’affaire de la… petite maison que ce couple avait su se payer par lui-même évidemment, et sans du tout savoir, bien sûr, qu’on lui en promettait une ici ou là…
Michel J. Cuny
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