
Soudain Cécile aura surgi, serrant sous son bras le gros dossier rouge vermillon que je commence à lui bien connaître, et elle entraîne derrière elle une valise à roulettes de couleur noire sur le dessus de laquelle elle a fixé son sac à main.
Autant l’avouer : il ne m’est pas possible de ne pas proclamer immédiatement, urbi et orbi, sous quel vêtement de scandale, elle s’offre à moi – et faut-il ne pas le penser ? – à la partie de la population romanaise qui se sera trouvée sur son chemin en ce matin du samedi 3 juin 2006 à neuf heures sonnantes… Robe d’un bleu turquoise très clair avec un anneau argenté et plat fixé sur le haut du vêtement, dont la ligne du dessus est coupée à l’horizontale et aussi bas que possible, sur une poitrine qui ne paraît aspirer qu’à en jaillir dès la première alerte. Un ruban très mince et de même couleur vient se nouer autour du cou et descend jusqu’à l’anneau argenté. Représentant le seul lien entre le haut de la robe et le cou, il est possible d’en modifier la longueur, de sorte que la ligne horizontale de la robe peut descendre, à volonté, de centimètre en centimètre, et accroître la hauteur effectivement dénudée, et ceci, jusque sous les seins, si l’on veut…. Dans toutes les positions, le dos est très largement dénudé. De légers festons, très sensibles au moindre souffle du vent, font tout le tour du bas de la robe qui, elle-même, est courte jusqu’aux limites immédiates de l’indécence… pourvu seulement que la belle n’ait pas à se pencher, rien qu’un peu, en avant…
Ce dont Cécile ne manquerait pas de m’annoncer qu’elle envisage d’en tenter l’épreuve sur cette place Maurice Faure qui, peut-être, ne s’en sera jamais vraiment remise… Quant aux chaussures de même couleur, en voici les caractéristiques : lanière sur le haut de la cheville, orteils tous apparents au-delà de l’à-plat assez large qui vient couvrir la partie où ils se rattachent au pied.
– Bonjour, mon amour, mon séducteur, ma lumière et ma joie… Mais qu’elle est donc belle ! Est-ce bien, là, notre monture ?… Comment s’appelle-t-elle ?
– Porsche Cayman 718 GT4.
– Incroyable ! Vous avez donc deux voitures de luxe, dont l’une est carrément un petit monstre… Une Porsche Cayman 718 GT4…
– Qu’un jour vous conduirez tout aussi bien que l’autre…
– Mais qu’il faut, tout d’abord, que j’aille baptiser à ma façon, dans un délai dont nous allons pouvoir définir la dimension, tout en dégustant nos petits-déjeuners…
– Si vous voulez, je peux aller déposer votre valise dans l’un des coffres de la voiture…
– Elle en a plusieurs ?
– Oui… C’est une de ses particularités… Un coffre à l’arrière et un coffre à l’avant…
– Et, par conséquent, elle n’a pas de moteur !… C’est très pratique, ça ?…
– Oui… On pousse !…
– Et vous avez pensé à moi pour pousser…
– Je vous adore, coquine !… Je vous explique maintenant une grave question de mécanique automobile. Dans cette voiture-là, le moteur est, en quelque sorte, au centre… En réalité, on le dit : central arrière. L’équilibre général est conforté par cette position… Il peut donc y avoir un coffre à l’arrière et un coffre à l’avant, par contre le moteur est immédiatement derrière les deux places réservées aux personnes… Deux seulement, et relativement à l’étroit…
– Impossible de se lancer dans de grandes aventures sous les projecteurs venus d’en face… Je saurai compenser…
– Je vais déposer votre valise dans le coffre avant.
– Et d’ici, je verrai ce qui pourrait se passer si, à mon tour, je voulais y aller voir, rien que pour m’afficher sur cette place où j’avais garé ma Mégane, et où nous nous sommes d’abord manqués…
– Je vous montre comment fonctionne la télécommande… Vous devriez pouvoir bien vous amuser… J’y vais… Vous verrez d’ici une partie de ce que cela donne… en attendant d’y mêler vos charmes…
– Tenez : prenez aussi le dossier… Je serai bien obligée d’aller le rechercher dès que nous voudrons passer aux extraits que j’ai soigneusement notés et commentés…

Déblocage des portières. Ouverture du côté conducteur, puis du côté passagère. Déblocage et levée du coffre arrière. Déblocage et levée du coffre avant, tout en tournant le dos à la terrasse du Petit Maxime…
C’est dans ce dernier endroit que j’ai déposé la valise et le dossier. Je reviens vers Cécile dont les yeux sont tout pétillants, et qui m’interroge :
– Dites-moi à quelle distance nous sommes de Villard-de-Lans ?
– Cinquante kilomètres…
– Avec quelques poses photographiques un peu coquines en cours de route, il faut compter 90 minutes…
– Je vois que vous êtes en pleine forme !…
– Esthéticienne-praticienne !… Eh bien, c’est ce qu’on va voir, non mais !… Et ici, pour commencer… Mais pas avant d’avoir approfondi avec vous, mon prince, différents passages de votre livre : Amour, Beauté, Désir… Déjà, je brûle de m’envoler avec vous dans la voiture de course qui est maintenant sous mes yeux… Mais, justement, saisie comme je le suis par la perspective de m’affronter à cette carrosserie envoûtante, ici même, et puis surtout, là où vous le souhaiterez, ailleurs…, je veux auparavant réaliser un travail qui me portera – je le sais – jusqu’au sommet de ce que je peux atteindre, après avoir étudié ce livre que vous m’aviez confié… et qui m’a enflammée à un point inimaginable… sexuellement et intellectuellement. Je compte que, si nous devons être à Villard-de-Lans pour le déjeuner, il nous reste une heure de liberté pour travailler en terrasse.
Une fois la commande passée et les copieux petits-déjeuners disposés devant nous qui nous faisons face, nous n’aurons pas eu le temps de voir passer croissants et autres viennoiseries, que Cécile nous aura déjà emporté(e) dans les questions qui l’auront saisie à la lecture de ce qui est un relevé d’un Séminaire en quatre séances que j’avais organisé à deux cents pas du Petit Maxime, c’est-à-dire à la Médiathèque de Romans, les 7, 21 octobre, 4 et 18 novembre 1997, sur le thème “Amour et psychanalyse – Introduction à l’œuvre de Jacques Lacan”. ..
– Dès les pages de garde, j’ai appris que vous avez déjà publié onze livres, dont quatre avec votre compagne, et un avec elle et avec votre petite sœur, Christine. Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’a été immédiatement mon soulagement… Certes, j’avais eu en mains le livre sur Jean Moulin, mais, en réalité, je m’étais arrêtée sur votre seul prénom… Sûrement, je ne voulais pas voir le reste… Mais, cette fois-ci, je me suis dit que, peut-être, je pourrais, moi aussi, vous tenir compagnie dans l’écriture d’un livre, et peut-être de plusieurs, mais sans devoir en prendre l’entière responsabilité, puisque vous seriez à mon côté dans le travail de recherche, de rédaction, etc… tandis que cette faculté me sera donnée aussi longtemps que je n’aurais pas su rassembler la masse énorme des connaissances dont je devine qu’il faudrait me rendre maîtresse, ne serait-ce même que pour tracer le premier mot…
– Ce qu’il faut remarquer tout de suite, c’est qu’ayant à peine ouvert ce livre-là – et il aurait pu s’agir d’un autre -, vous avez su y saisir aussitôt la première branche, solide, qui s’y présente. C’était déjà le cas des « points de capitons » du texte de Freud sur l’Inconscient…
– Ensuite, j’ai découvert à quel point vous pouvez utiliser l’humour pour capter aussitôt l’attention des personnes qui viennent vous entendre… Mais très vite, et en conservant ce ton apparemment détendu et puis légèrement provocateur, vous faites passer des informations très précises… dont on peut constater, ensuite, qu’elles comportent des développements auxquels on ne s’attendait pas du tout. Autrement dit : le sérieux ne vous entrave pas… Y compris, à des altitudes où d’autres ne trouveraient plus leur oxygène à force de tellement tendre leur pensée, vous sautillez tout à coup en direction d’autre chose… qui peut très bien être plus difficile, plus ardu, mais dont on croit pouvoir se jouer avec vous, tellement votre facilité d’élocution et d’enchaînement nous emporte comme une musique de maître…
– Belle Cécile, ma chérie, vous y êtes, vous aussi… Vous venez de nous le démontrer, et de quelle brillante façon !…
– En même temps que j’ai un peu rallongé ma petite corde bleue… Admettons que les deux processus soient liés, vous allez bientôt me retrouver les deux seins à l’air !… Allons ! Je me reprends… et très sérieusement, si j’en juge selon le niveau auquel est remontée ma ligne de flottaison… Cependant je ne perds pas le fil qu’il faudrait tout de même tirer bien plus loin qu’on ne le fait, ordinairement, chez les esthéticiennes-praticiennes… Nos agapes du matin étant achevées, je me propose d’aller nous commander deux grands verres de jus d’orange, et, sitôt que le débarras aura été fait et les boissons apportées, je viendrai m’asseoir de votre côté pour que puisse très vite commencer – tandis que nous allons travailler sur documents – le spectacle de ma robe se relevant peu à peu jusqu’à cet endroit où… mais je n’en dirai pas plus… Et puis, j’irai récupérer le dossier et cajoler un peu la Porsche Cayman 718 GT4, au détriment de tout ce que la morale exige…
Michel J. Cuny
Article suivant : Quand le « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud vient frapper très doucement à notre porte entr’ouverte…