
– Ma chérie, mon amour, nous allons maintenant pouvoir saisir le fil de mon petit écrit… Il commence de la façon suivante : « Articulations symboliques ? Cette dénomination s’appuie très directement sur l’origine grecque du terme “symbole”. Le σύμβολον est un objet brisé en deux, qui peut être reconstitué en faisant s’emboîter les deux moitiés selon l’articulation très spécifique que constitue la ligne de fracture qui les sépare. »
– Et voilà Cécile qui fait du grec !… Qui l’eût cru ?… N’empêche : cela veut dire que les articulations symboliques ne peuvent que correspondre à un travail de haute précision… Parfois, avec les maquillages, c’est ce qui arrive… Cela dépend de toutes sortes de circonstances… D’une certaine façon, c’est à la croisée de deux mondes : la cliente et l’esthéticienne doivent « s’entendre »… sur les produits, sur les gestes, sur les résultats… Parfois, il y aurait de quoi faire des cauchemars, tellement la séance a été « agitée », et cela, sans qu’il y paraisse du tout, extérieurement… J’ai une collègue qui dit toujours : « Tout se passe à l’intérieur !… » Elle y croit dur comme fer… Mais je constate que je vous ai coupé pour rien du tout…
– Au contraire… Voyez ce que dit la suite… « Pour sa part, le verbe σύμβολεω, qui renvoie à la “rencontre avec”, s’oppose au mot διάβολη qui signifie la “division”, et qui se retrouve en français dans “diabolique”, lequel fait à son tour résonner de façon significative son opposé : “symbolique”. »
– La « rencontre avec »… Ça, c’est vraiment le travail d’une esthéticienne-praticienne… Et n’oubliez pas que ça peut conduire jusqu’à l’épilation intégrale… Mais restons sur le maquillage… c’est-à-dire, surtout, sur une question de trait… de trait qui tombe juste là où il faut… mais ce n’est qu’après qu’on peut s’en apercevoir…
– Ici, nous allons avoir quelque chose de différent… Vous me direz si je me trompe… « La reconstitution du “symbolon” établit la preuve qu’il s’agit effectivement de retrouvailles entre deux moitiés séparées depuis très longtemps peut-être : elles se “reconnaissent”, et, à travers elles, les deux personnes qui les détenaient sans pouvoir se “reconnaître” autrement qu’à travers cette “coïncidence”. »
– Si, cela correspond… Je vais vous expliquer comment… S’agissant des soins du visage, qu’on le veuille ou non, le changement est souvent assez violent… La personne ne vous le dira pas tout de suite… Peut-être ne vous le dira-t-elle jamais. Vous sentez que ça ne va pas tout à fait… Ou qu’au contraire, la qualité du résultat dépasse toutes les attentes de la cliente, ou de vous-même… Toutefois, la « rencontre » suivante peut tout remettre à zéro… Parce qu’à nouveau, le σύμβολονest divisé, et que vous ne savez plus comment colmater la ligne de rupture…
– Je vais vous montrer que l’idée est venue, dans l’Antiquité, d’enjamber la question de l’ajustement au millimètre… « Un développement imaginaire de cette thématique se trouve constitué par le mythe des âmes sœurs tel qu’il se retrouve chez Platon pour fournir au couple idéal l’explication de la vigueur du lien qui le constitue. » Cela revient à dire qu’entre la séparation et les retrouvailles, rien n’a bougé… Or, nous avons vu, précédemment, que même la table d’une minute donnée n’est jamais la même que celle de la minute d’après…
– Vous voulez donc dire que Platon enjambe allègrement le temps qui passe, et les traces qu’il laisse… Imaginez les rides naissantes, les rides pressenties, les rides désirées… On vous demande parfois d’en juger, et, éventuellement, d’y mettre la main par vos conseils, par vos petites attentions, etc…
– « Autre exemple. Il semble qu’au temps de la Résistance, certains volontaires de la région de Lyon se voyaient remettre la moitié d’un billet de banque dont l’autre moitié les attendait dans le Vercors, la conformité des “retrouvailles” assurant l’authenticité résistante de l’arrivant. »
– Sans que je puisse savoir si cette remarque que je vais faire est bien dans la ligne de ce que nous discutons en ce moment, ce mot de « retrouvailles » me fait penser à la question que pose parfois la continuité des produits que nous utilisons… Est-ce vraiment le même, ou un équivalent, etc… Mais quittons la petite philosophe de chez Marionnaud… Je vois que nous abordons un grand passage que vous avez souligné d’un trait rouge… Je n’aurai pas le temps de le recopier maintenant, mais je me doute que c’est ce que je devrai faire dès que, demain, nous aurons trouvé une table de travail… dans un café de la montagne qui est au-dessus de nous, selon ce que vous m’avez dit. Je vous écoute très attentivement…
– Cela se présente comme ceci… « Plus généralement, il saute aux yeux que toute ligne d’écriture est une succession d’articulations symboliques : c’est précisément ce que démontre aussitôt le b, a, ba… Pour que cette “chaîne” d’articulations symboliques ne s’embrouille pas, nous apprenons à la ranger en lignes horizontales qui, en français, vont de gauche à droite, et s’étagent l’une en dessous de la précédente, et puis nous tournons la page, etc… D’un bout à l’autre d’un livre, c’est généralement la même chaîne symbolique qui court… D’un bout à l’autre d’une vie, du cri premier au soupir terminal – et puisqu’il s’agit de parler -, idem. »
– Je sentais bien qu’il allait être question de quelque chose d’essentiel pour moi !… Vous m’offrez les clés du métier en quoi consiste l’écriture telle qu’elle peut venir s’enchaîner sur les pistes qu’offre l’analyse selon Freud et selon Lacan… Mais vous ne m’avez pas encore tout lu de ce qui est souligné en rouge…
– J’y viens tout de suite : « Plus spécialement, tout travail d’auteur semble devoir porter sur cette “concaténation” millimétrée… C’est ce qui a permis à Dante de souligner que l’une des origines possibles du terme “auteur” lui-même serait « un verbe très délaissé en grammaire par l’usage, qui somme toute signifie “lier des mots”, à savoir auieo… cinq voyelles sans plus, qui sont âme et lieu de toute parole ». Du côté professionnel, nous voici servi(e)… Mais, du point de vue de nos personnes, dans ce qu’elles ont à accomplir, voici ce qui est déterminant : « En admettant qu’Eros puisse être déclaré “maître du lien” – activité érotique par excellence -, il ne serait éventuellement pas choquant de vouloir voir dans le parler d’amour une science des “articulations symboliques”, et, pourquoi pas, de prétendre en être l’un des auteurs (en y offrant son esprit, son cœur et son corps)… »
– C’est donc ici qu’il me faut faire jouer ces trois composantes : mon esprit, mon cœur et mon corps, chacune renvoyant au registre qui est le sien : symbolique, imaginaire, réel. Du côté du premier, la formule en sera ceci que je veux te dire en te regardant bien dans les yeux : nous allons tout de suite immortaliser mon… cul ! en le projetant dans le ciel de Villard-de-Lans (pour l’image), et jusqu’aux limites (réelles) de la chute qui, si elle se produisait, ne ferait que me procurer la mort !… L’heure en est venue… Impossible d’y déroger… La robe jaune bouton d’or se relèvera jusqu’à ma taille, découvrant mon cul que je débarrasserai immédiatement de son ultime voile… Je ne ferai, cependant, que commencer à enjamber la main courante de la terrasse, en venant y placer ma jambe droite, tandis que la gauche, tendue au maximum de ses capacités – mon pied reposant sur sa pointe dans sa mule -, fera saillir tous ses muscles pour me sauver la vie tout en exaltant… en dessous de mon cul, cette vulve dont ta lèvre se régalera longtemps au cœur de la nuit qui vient, la première que nous partagerons en y mêlant le scandale des caresses les plus follement débridées…
Cécile ouvre largement les deux battants de la fenêtre, elle m’invite à préparer l’appareil photographique, que je dépose sur la table, et à me placer sur le divan, comme dans la première partie de l’après-midi. Elle vient s’asseoir tout contre moi, pose ses pieds sur l’accoudoir opposé, puis elle écarte les jambes au fur et à mesure de la jouissance qu’elle se procure en ce masturbant de plus en plus rapidement. Ses halètements suffisamment accélérés, elle quitte le divan, s’approche doucement de l’ouverture qui est devant elle, pénètre sur la terrasse, relève sa robe qui laisse maintenant apparaître son cul et sa vulve, tandis que sa jambe droite monte peu à peu à l’horizontale jusqu’à pouvoir atteindre le dessus de la balustrade. Elle s’y pose… Spectacle inouï dans lequel elle aura persisté vingt secondes environ… comme pour être absolument sûre d’avoir été aperçue par quelques-unes des personnes qui déambulent dans les environs. Elle revient maintenant vers l’intérieur de la chambre, se met complètement nue, tout en conservant ses mules, et la voici qui s’appuie sur la partie gauche de l’ouverture en se tournant assez fortement vers l’extérieur. Elle écarte largement les jambes, et reprend une petite séance de masturbation qui lui procure déjà quelques soubresauts… Elle passe soudain du côté opposé, et relance la masturbation – et la jouissance qui en naît -, au point où elle les avait laissées, pour les porter au plus haut, au plus fort l’une et l’autre. Après un dernier cri, elle revient dans la chambre pour se jeter aussitôt sur le lit… tout en m’adjurant d’offrir mon sexe à sa bouche qui s’en saisit immédiatement comme d’une planche de salut…
Michel J. Cuny
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